• LA CANONNIERE DU YANG-TSE

    "La canonnière du Yang-tsé"est un de mes films préférés mais surtout il appartient à un genre un peu délaissé aujourd'hui et que j'affectionnais particulièrement. Il s'agit d'un "road-show". C'est à dire un film "au long cours", comme "Autant en emporte le vent", "Cléopâtre", "Les dix commandements", "Ben-Hur" ...

     

    Ce long métrage dépasse en effet les trois heures. Il y a donc un prélude et un entracte, respectés sur le dvd. "The Sand Pebbles" (titre original du film) est un film ample, plein de souffle, qui aborde un sujet complexe, à la frontière du film politique (le film sort en pleine guerre du Viêt-Nam), historique (l'histoire se passe en Chine en 1926, au moment de la guerre civile entre les troupes nationalistes de Tchang-Kaï-Chek et les révolutionnaires communistes), et d'action (voir la scène où le bateau force le barrage de jonques pour aller sauver les missionnaires de "Lumières de Chine") ... Ce film vaut également pour sa galerie de personnages principaux et secondaires, magnifiquement servis par une distribution extraordinaire. En premier lieu évidemment, le chef mécanicien Jake Holman, véritablement incarné par Steve Mc Queen au sommet de son art. Mais je reviendrai sur ce rôle.

     

    Chaque personnage raconte en effet un film à lui tout seul. Frenchy, le marin joué par Richard Attenborough, tombe amoureux d'une chinoise qu'il doit racheter à son souteneur. Ce personnage permet à Robert Wise d'aborder le thème de l'amour entre personnes de cultures différentes. Ce sujet n'est pas abordé avec naïveté. L'amour est universel, en cela il rapproche naturellement les êtres. Mais l'amour dans ce contexte de guerre civile et de lutte anticoloniale se révèle un amour impossible.

     

    Richard Crenna, qui joue le capitaine Collins, est un personnage torturé, pris entre le marteau de la politique extérieure des Etats-Unis et l'enclume de son rôle de chef d'équipage.

     

    Jameson, le missionnaire, interprété par Larry Gates, va fondre malgré lui la balle qui le tuera. Lui qui se déclare apatride, universaliste, citoyen du monde perdra la vie dans la lutte entre les nations qui se libèrent et celles qui les exploitent.

     

    Candice Bergen joue le rôle d'une institutrice, aidant les Chinois, par l'éducation, à devenir une nation. Elle aussi est ballotée par le vent de l'histoire. Pour elle aussi l'amour est impossible. Son attirance pour Steve Mc Queen est sans issue. Candice Bergen représente la stabilité, voire l'immobilité. Steve Mc Queen représente l'homme sans attache, qui change souvent d'affectation et de vie. Elle représente l'éducation, la paix, l'intellectualité. Lui est un mécanicien, un homme de guerre qui finira par tirer sur les élèves de l'institutrice.

     

    Jake Holman, le personnage joué par Steve Mc Queen est un homme libre, sans compromis, qui a le sens du devoir, de la loyauté et du travail. C'est un marginal dans le corps de la marine des Etats-Unis. Il se retrouve souvent tiraillé entre son devoir de soldat américain et des valeurs universelles qui le poussent à la rébellion. Il va se lier d'amitié pour un Chinois, Po-Han, interprété par Mako, qu'il va former à la mécanique ; amitié qui conduira à un mémorable combat de boxe et qui se finira par une scène d'une rare cruauté. Sur le bateau, il fait l'unanimité contre lui, du commandant jusqu'aux matelots, qui sont prêts, abandonnant tout honneur, à le livrer aux Chinois qui l'accusent d'un crime qu'il n'a pas commis. Robert Wise nous montre d'ailleurs avec beaucoup de netteté dans cet épisode, toute l'absurdité de la subversion, de la manipulation des foules à des fins politiques qui dépassent et broient les êtres humains.

     

    Il me reste à parler du premier personnage du film : la canonnière ! Ce bateau, le San Pablo, censé représenter la puissance des Etats-Unis, est en fait une pure illusion. Immaculé au début du film, il se couvre de rouille au fur et à mesure de son voyage sur le fleuve Yang-tsé. De faibles barques peuvent l'immobiliser. Une simple corde peut empêcher son passage. Quant à la scène d'anthologie de la panne, qui verra un homme mourir dans des circonstances atroces, elle nous rappelle que les machines sont nos maîtres et nous, leurs esclaves fragiles.

     

    Petite anecdote : ce bateau n'est qu'un gigantesque accessoire. Toutes ces canonnières ont en effet disparu corps et biens. Pour les besoins du film et pour tenir compte de la faible profondeur des rivières sur les lieux du tournage à Taïwan, les décorateurs ont fabriqué une sorte de radeau à fond plat avec 2 moteurs diesels. Les scènes dans la cale ont donc été tournées à Hollywood, dans un décor mais avec une vraie machine à vapeur.

     

    Un autre personnage important du film est la Chine, bien que le contexte politique de l'époque ait obligé les producteurs à tourner à Taïwan et à Hong Kong. Robert Wise a su donner à son film une largeur de plan, une profondeur de champs impressionnants. Les magnifiques paysages ainsi que les gigantesques décors recréant le port de Shanghai en 1926, font de ce film un très grand spectacle.

     

    Je terminerai par la musique de Jerry Goldsmith, aux sonorités très contemporaines, qui contribue elle aussi à donner une ampleur, une dimension épique entrant en résonnance avec les thèmes abordés par Robert Wise.

     

    Pour conclure, je voudrais replacer "The Sand Pebbles" dans l'histoire du cinéma. Tourné en 1966, ce film est le témoin de l'histoire du vingtième siècle mais aussi d'un réalisme qui a presque entièrement disparu du cinéma actuel. Débarrassé des contingences techniques grâce à l'avènement du numérique, le cinéma moderne a quasiment déserté la peinture du réel pour aborder des sujets plus fantastiques ou fantaisistes ("Le seigneur des anneaux" ; "Les X-men" ...). Bien sûr, il est normal d'utiliser les techniques actuelles afin de mettre en image l'irréel, le fantastique, ou l'horreur ... et les grands réalisateurs utilisent d’ailleurs les effets spéciaux numériques comme un objet et non pas comme le sujet du film. Ces films abordent eux aussi des thèmes universels. Mais je trouve que le bon cinéma des années soixante et soixante-dix (avant Star Wars en 1977) avait atteint un extrême réalisme. Je pense à "Bullitt" (avec le même Steve Mc Queen), "French connection" ou "Z".

     

    A quand un film de cette ampleur sur la crise des subprimes ou sur la guerre en Afghanistan ?

     

    kfg


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